Le fils prodigue de la parabole: qui est-il?

Le fils prodigue (Luc 15, 11-32)

Nous sommes en pleine période de Teshouvah (תְּשׁוּבָה, retour vers l’Eternel). Quelle parabole est la plus symbolique du retour à l’Eternel, si ce n’est celle du fils prodigue? Seul Luc la rapporte (Luc 15, 11-32). Elle est très connue: Un père a deux fils.

L’un d’eux part dilapider son héritage dans un lointain pays, tandis que l’autre reste à travailler auprès de son père. Le premier revient tête basse et honteux mais son père l’accueille chaleureusement. Il organise en son honneur un véritable festin. Ce que voyant, l’autre fils devient pâle de jalousie et refuse d’entrer dans la salle du festin.

Une parabole dans l’esprit de la Bible hébraïque

Maintenant, après avoir posé le cadre général, il reste à entrer en détail dans cette parabole pour l’expliciter au plus juste. Il ne faut pas oublier, bien sûr, que Jésus était tout imprégné de l’esprit de la Bible hébraïque, qu’il connaissait en hébreu.

Donc, c’est le fils aîné qui reste auprès de son père. Effectivement, en tant que fils aîné, il hérite de la plus grande part de l’héritage. C’est pourquoi son père lui dit:

« Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi ».

En l’appelant « mon enfant », on décèle toute l’affection d’un père. En effet, Isaac aime Esaü:

« Isaac aimait Ésaü parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche; mais Rébecca aimait Jacob. » (Genèse 25, 28).

Vraiment, qui est le fils prodigue de la parabole?

Cependant, une chose saute aux yeux:  dans le texte en araméen, on appelle le jeune fils, le fils prodigue: « le jeune fils », tandis que l’on parle de son frère aîné comme du « vieux fils », autrement dit: « le petit fils » et « le grand fils », et non pas: « le fils aîné et le puîné ».  Là est tout la différence. Il est indéniable que Jésus s’est inspiré de la Bible et de son esprit pour parler du « petit fils et du grand fils », qui sont Esaü, l’aîné, resté près d’Isaac et de Rebecca, et Jacob, qui « dilapida son héritage » parmi les Nations, quand il était en exil:

« Rébecca prit les plus beaux vêtements d’Ésaü, son ‘grand’ fils, lesquels étaient sous sa main dans la maison et elle en revêtit Jacob, son ‘petit’ fils » (Genèse 27, 15).

Les prophètes le lui ont d’ailleurs assez reproché en fustigeant sa propension à se « prostituer » aux idoles, au « culte étranger ».

D’abord les ancêtres, puis tout un peuple en exil

Effectivement, Jacob a dû au départ s’exiler chez Laban, puis, vers la fin de sa vie, en Egypte, où ses descendants ont vécu mêlés aux Egyptiens. Là-bas en Egypte, puis dispersés aux quatre coins du monde, les Hébreux et leurs descendants les Juifs ont vécu en ayant perdu « leur héritage ». Cet héritage, leur pays, le pays de leurs ancêtres… Toutefois ils ont essayé de garder leurs traditions et leur Torah, qu’ils n’ont cessé d’étudier tout au long des âges.

Le retour d’exil est conditionné par le retour préalable vers l’Eternel

En marge du retour de tout un peuple, le retour à l’Eternel de chaque individu, encore en exil, est souhaitable, et même essentiel. Ainsi, le fils prodigue en train de garder les cochons de son maître.

« Rabbi Shimon Bar Yokhaï dit: même le juste parfait toute sa vie, s’il se révolte sur la fin de sa vie, perd toute sa justice, car il est dit: ‘La vertu du juste ne le préservera pas au jour de son péché’ (Ezéchiel 33, 12). Et même un méchant parfait toute sa vie, s’il revient à son Père sur la fin de sa vie, on ne lui rappelle pas le mal qu’il a fait, car il est dit: ‘et la méchanceté du méchant n’entraînera pas sa chute le jour où il renoncera à sa perversité’ (Ézéchiel 33, 12). (Talmud de Babylone, Qidoushin, 40, b).

On ne rappellera pas le mal qu’un méchant a pu faire toute sa vie durant s’il rentre en lui-même et revient vers l’Eternel, s’il emprunte de nouveau les chemins de l’Eternel, pas plus qu’on ne rappellera le Bien qu’un homme a pu faire durant toute sa vie, s’il choisit de s’éloigner des voies du Seigneur

Salvator Rosa (1615-1673) - Le fils prodigue (Wikimedia Commons)
Salvator Rosa (1615-1673) – Le fils prodigue (Wikimedia Commons)

Au fil des générations, le grand retour

Enfin, le jeune fils arrive dans un pays qui souffre bientôt d’une « grande famine ». Or c’est une parabole. Il ne s’agit donc pas ici d’une famine physique, mais d’une famine spirituelle:

« Oui, il t’a fait souffrir et endurer la faim, puis il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connue tes pères; pour te prouver que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de l’Eternel. » (Deutéronome 8, 3).

Il lui manquait « l’air du Pays » d’Israël…

Le jeune fils, avant de rentrer chez son père, se loue comme travailleur dans une ferme de cochons, en hébreu: ‘חזירים’. Etant donné que ce mot contient la racine verbale hébraïque ‘חזר, revenir’, cela signifie que le jeune fils est prêt à revenir à son père, à sa Tradition. Ayant atteint le fond, car pour un Hébreu, paître des cochons, animaux « impropres à la consommation », c’est vraiment toucher le fond. Le jeune fils ne peut donc que remonter.

Cependant, cette parabole ne rappelle pas seulement Jacob, le patriarche, ancêtre des Hébreux, mais aussi Joseph, le Juste, qui se morfondait au fond du trou qui lui servait de prison mais en est subitement sorti, avec une bague au doigt et des vêtements neufs:

« Et Pharaon ôta son anneau de sa main et le passa à celle de Joseph; il le fit habiller de byssus et suspendit le collier d’or de son cou. » (Genèse 41, 42).

Enfin, pour terminer, le père dans la parabole de Jésus dit:

« il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé » (Luc 15, 32).

Joseph et le fils prodigue: mort et résurrection

Effectivement, Jacob croyait Joseph mort, et son cœur est resté des années comme une pierre. C’est la même chose pour le père de la parabole. Il croyait son fils mort, et d’une certaine manière, ce fils qu’il croyait mort est « ressuscité » à ses yeux! Non pas qu’il soit mort d’une mort physique! Joseph toutefois s’était tellement égaré dans ses pérégrinations, ne donnant aucune nouvelle, que Jacob le considérait comme mort, aussi bien physiquement que spirituellement.

Pendant que Joseph, d’esclave hébreu, devient le second du Pharaon, Jacob est totalement fermé, comme mort spirituellement, et ne ‘reviendra à la vie’ que lorsque ses fils, les frères de Joseph, lui annonceront la « bonne nouvelle ». Alors,

« Ils lui apprirent que Joseph vivait encore et qu’il commandait à tout le pays d’Égypte. Mais son cœur restait froid, parce qu’il ne les croyait pas. Alors ils lui répétèrent toutes les paroles que Joseph leur avait adressées et il vit les voitures que Joseph avait envoyées pour l’emmener et la vie revint au cœur de Jacob leur père. » (Genèse 45, 26-27).

Ce que veut dire Jésus par là c’est que le fils prodigue, quand il reviendra de son exil, non seulement retrouvera sa splendeur perdue, mais encore, il sortira grandi de ses épreuves.

Jacob, Joseph et le fils prodigue de la parabole

Alors, quel est le lien entre Jacob et Joseph? Ce sont tous deux des fils d’Israël qui sont partis en exil, contre leur gré. Ils ont fleuri là-bas, ils ont prospéré là-bas, mais ils ont aussi subi des vicissitudes. Ni Jacob ni Joseph ne sont revenus vivants de leur exil en Egypte, mais seulement leurs lointains descendants, sous la coupe de Moïse.

Adrien Guignet (1816-1854) - Joseph explique le rêve de Pharaon (Wikimedia COmmons)
Adrien Guignet (1816-1854) – Joseph explique le rêve de Pharaon (Wikimedia COmmons)

Le fait que le fils prodigue soit reconnu comme étant « vivant et ressuscité », seulement quand il revient vers son père, dans le domaine de son père, signifie de fait que le peuple d’Israël ne peut retrouver sa splendeur que sur sa terre, la terre d’Israël, quand il « porte des vêtements neufs et la bague au doigt », donc quand il retrouve le pouvoir que lui confère sa position de « fils de son père ».

David Teniers le Jeune (1610-1690) – Le festin de l'enfant prodigue (Wikimedia Commons)
David Teniers le Jeune (1610-1690) – Le festin de l’enfant prodigue (Wikimedia Commons)

 

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