Le dilemme de la nappe dressée

Parfois, en lisant les Évangiles, j’ai l’impression que les apôtres ne comprennent pas grand-chose à ce que Jésus dit. Souvent, « ils ne comprenaient pas ce qu’il disait » même du vivant de Jésus.

« Et Jésus dit : Et vous aussi, êtes-vous encore sans intelligence? » (Matthieu 15, 16…)

La nappe dressée: une épreuve pour l’intelligence de Pierre

Après sa mort, il ne semble pas que la situation ait changé, si l’on en croit la parabole de la nappe dressée pour le repas (Actes 10, 11-16, 11, 5-10).

Et il vit le ciel ouvert, et un grand linge de coton כֵתָּנָא qui descendait vers lui, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins et qui descendait jusqu’à terre. Il y avait dedans toutes sortes de quadrupèdes de la terre, des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux du ciel. Et une voix lui dit: Lève-toi, Pierre, immole et mange. Mais Pierre dit: Non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et la voix lui dit une seconde fois: Ce que le Seigneur a purifié, ne le regarde pas comme souillé. Cela arriva trois fois, et le linge fut de nouveau enlevé au ciel. (Actes 10, 11-16)

J’étais dans la ville de Joppé (Yafo, Jaffa), en prière. Et, saisi d’extase, j’eus une vision: Un grand linge de coton כֵתָּנָא descendit, comme une grande nappe, nouée par les quatre coins; et elle arriva jusqu’à moi. J’avais fixé les yeux sur ce linge, et je considérais attentivement, et je vis des quadrupèdes de la terre, des bêtes sauvages, des reptiles et des oiseaux du ciel. Et j’entendis une voix qui me disait: Lève-toi, Pierre, immole et mange. Mais je dis: Non, Seigneur, car rien de souillé ni d’impur n’est jamais entré dans ma bouche. Mais une voix me répondit du ciel: Ce que le Seigneur a purifié, ne le considère pas comme souillé. Cela arriva trois fois, et tout fut retiré au ciel. (Actes 11, 5-10)

Comment Pierre interprète la nappe dressée

Il est certain que Pierre, fils de Jonas, qui n’a jamais mangé d’animaux non cashérisés (rituellement propres à la consommation humaine), se trouve donc face à un dilemme majeur: doit-il manger ou non des aliments non « casher«  alors qu’on l’envoie en mission auprès des goyim, des Gentils? Mais comment fera-t-il, lorsque des non-Juifs lui proposeront de manger? Cet obstacle à la cashrout est considérable, car il fait maintenant face à des croyants fidèles qui ne sont ni Hébreux, ni Juifs (Judéens de Juda), ni Galiléens (Israélites, habitants de l’ancien royaume du nord, appelé Galilée).

Pierre est troublé: pour lui, tous les animaux, purs comme impurs, disposés sur la nappe, sont le signe qu’il n’y a ni animaux purs ni impurs. Par conséquent, tous les animaux sont autorisés, ce qui, il faut bien l’admettre, facilite grandement son travail missionnaire parmi les Gentils! Sa conscience semble troublée (on ne balaie pas toute une vie de lois alimentaires juives: cela signifierait pour lui se couper de ses frères juifs), mais cette vision est justement propice à dissiper toutes ses hésitations… Et il choisit de manger tout ce qu’on lui propose. Tout? Tout ! Absolument tout. Et pourtant…

Que signifie la nappe dressée?

Et pourtant, s’il avait prêté attention aux moindres détails de cette parabole, il aurait tout aussi bien pu prendre la décision inverse et rester dans sa réticence à quitter le cocon des lois hébraïques… et décider de continuer à les observer. Je pense que pour lui cette nappe, nouée aux quatre coins, est un grand « talith », un châle de prière hébreu, constitué d’un grand morceau de tissu « noué » aux quatre coins. Déjà, cette nappe qui ressemble à un talith devrait donner un indice à Pierre… Si le tissu est un talith, et si des aliments non casher et casher se trouvent dans le tissu, il doit préférer les aliments casher, dignes du talith. De plus, la voix venue du ciel s’adressant à Pierre dit:

Lève-toi, Pierre, immole et mange!

Certaines versions traduisent: « tue et mange! » Mais le verbe grec, θυω, θυσω (Thuo, thusso), ne laisse aucun doute: il signifie « immoler, offrir un sacrifice ». Le mot hébreu rétabli ainsi שְׁחִיטָה, שָׁחַט (she’hitah, sha’hat) signifie « sacrifier rituellement de la viande » (pour le sacrifice et la consommation).

Le dilemme de Pierre

Cependant, Pierre comprend que Jésus lui a demandé de manger même des animaux impurs, alors que la voix céleste lui demande d’immoler ce qu’il veut, c’est-à-dire de choisir selon son libre arbitre: il s’agit des animaux déclarés aptes au sacrifice, et a fortiori propres à la consommation selon la tradition hébraïque. D’autant plus que Pierre emploie le même verbe en grec: immoler, offrir un sacrifice, lorsqu’il décrit verbalement ce qui s’est passé (Actes 11,7). Pierre est donc bien conscient qu’il s’agit d’abattre rituellement des animaux pour en manger la viande, ce qui ne peut évidemment se réaliser qu’avec des animaux casher, c’est-à-dire propres à la consommation humaine! Pierre, pris de remords, décide de tout remettre à plus tard, n’ayant jamais rien mangé d’impur, et donc de renier même les animaux purs qu’il peut manger!

Jésus dit: « Ce que le Seigneur a purifié, ne le considère pas comme souillé. »

Les trois reniements de Pierre fils de Jonas

De nouveau, Pierre, interprétant cette parabole selon ses désirs, comprend qu’il peut manger de tout. Mais il peut aussi comprendre qu’il doit choisir de manger « ce que l’Eternel a purifié », c’est-à-dire rendu propre à la consommation. Cette vision se renouvelle trois fois, comme si elle était parallèle aux trois reniements de Pierre avant la crucifixion de Jésus (Matthieu 26, 58, 69-75). Pierre, après cette parabole, renie à nouveau Jésus… Ce combat intérieur est comparable à celui de Caïn, lorsque l’Eternel lui dit:

Si tu agis bien, ne seras-tu pas agréé? Et si tu agis mal, le péché est à la porte. Et c’est à toi qu’il s’adressera, et tu domineras sur lui. (Genèse 4, 7).

Simon-Pierre, fils de Jonas, doit choisir « la vie et le bien » (Deutéronome 30, 15) et à se maîtriser pour obtenir le meilleur de lui-même. Cependant, suivant son désir de ne pas être confronté au dilemme de refuser la nourriture des païens, parmi lesquels il doit aller enseigner l’Évangile, Pierre interprète cette parabole à sa manière, ce qui aura des conséquences fatales pour l’histoire ultérieure de l’Église et des relations judéo-chrétiennes.

L'apôtre Pierre au Vatican (Rome) - Photo: DomyD

L’apôtre Pierre au Vatican (Rome) – Photo: DomyD

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