Jacques, Paul et joug des mitsvoth

Aujourd’hui on constate une division profonde entre les Israéliens juifs. Les ‘hiloniim, dit laïcs », éprouvent une véritable haine envers ceux qu’ils appellent les « meshi’hiim », les « messianiques », les « datiim leumiim » religieux nationaux qui croient que la Gueoulah est proche, et que l’ère messianique est en marche, et que nous en vivons les préliminaires.

Jacques et Paul, ou les préliminaires d’un conflit bimillénaire

Loin de nous la pensée que cet état de fait est particulier! Nous le retrouvons à la veille de la destruction du Temple et de l’envoi en un exil de deux mille ans.

Après la mort de Jésus, de nombreuses dissentions commencent à poindre au sein du groupe de ses apôtres et disciples. Dès le début, la controverse s’établit entre les pays de la Dispersion, d’un côté, et Jérusalem-Israël-Juda, de l’autre, autour de la question des mitsvoth, des commandements à respecter par les païens (Goyim) qui croient en l’Eternel à travers les miracles et les paraboles de Jésus.

Ils font alors appel aux Anciens de la jeune communauté judéo-chrétienne à Jérusalem pour trancher le litige qui a l’air vraiment sérieux. Ce sera le premier concile de Jérusalem décrit en Actes 15.

Jacques, Paul et la controverse autour des mitsvoth

Ainsi, des Judéens, des Pharisiens entendent amener les Gentils à se faire circoncire (Actes 15, 1; 5), mais Paul et son disciple Barnabé s’y opposent. Cette volonté de se fondre parmi les Nations ne date donc pas d’hier! Faut-il être « un état comme les autres » comme le voulait David Ben Gourion? Le problème, c’est que les autres Nations nous rappellent sans cesse que nous ne pouvons pas nous fondre parmi elles. Une femme juive israélienne se fait violer? Ce n’est pas le problème des mouvements féminins internationaux. Un bébé juif israélien se fait brûler vif dans un four? Qu’à cela ne tienne! On accuse Israël de génocide.

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt au différend entre Paul et Barnabé d’un côté et les Anciens de la communauté judéo-chrétienne de l’autre. Pour trancher la question, l’on fait appel aux apôtres et aux Anciens siégeant à Jérusalem

Jésus, Paul et les apôtres - Photo par Jack78
Jésus, Paul et les apôtres – Photo par Jack78

(Actes 15, 2). Après maintes discussions, Jacques, le frère de Jésus, alors chef de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, très active et vivante (Actes 21, 20) tranche en expliquant, en un mot, que les Goyim, les païens se doivent de respecter au moins les « sept commandements de Noé » (Actes 15, 20; 28-29; 21, 25). Plus tard, en retournant prêcher auprès des païens, Pierre et Paul suppriment sans ambages l’observance des commandements de Moïse tant pour les Gentils que pour les Juifs (Actes 21, 21;27-28).

Paul, un traître au message premier de Jésus?

Il ne faut pas oublier que Jésus n’a jamais connu Jésus de son vivant.

Cette suppression catégorique des commandements de base du judaïsme comme la circoncision et la cacherout est semble-t-il la raison pour laquelle Jude (Judas), le frère de Jacques et de Jésus, admet que

« il s’est glissé parmi vous certains hommes qui depuis longtemps ont été marqués d’avance pour cette sentence: ces impies travestissent en débauche la grâce de notre Seigneur et renient notre seul Maître et Seigneur Jésus Christ » (Jude, 4).

De fait, Jude (Judas) veut

combattre pour la foi transmise aux saints une fois pour toutes  (Jude, 3)

…c’est-à-dire la foi hébraïque.

Un verset constitue un témoin dans la différence fondamentale qui existe entre la vision de Paul et celle de Jacques:

Abraham crut en l’Eternel, et cela lui fut compté comme justice (Genèse 15, 6)

Pour Paul, les mitsvoth sont devenues complètement inutiles

Pour Paul (Romains 4, 9-25), la foi d’Abraham en l’Eternel suffit. Elle est essentielle: sa foi parfaite lui vaut d’être

père d’une multitude de nations (Genèse 17, 4)

Les commandements deviennent inutiles puisqu’ils ne suffisent pas à justifier le croyant:

Où donc est le droit de se glorifier? Il est exclu. Par quel genre de loi? Celle des œuvres? Non, par une loi de foi. Car nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi. Ou alors Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement, et non point des païens? Certes, également des païens; puisqu’il n’y a qu’un seul dieu, qui justifiera les circoncis en vertu de la foi comme les incironcis par le moyen de cette foi. Alors, par la foi, nous privons la Loi de sa valeur? Certes non! Nous la lui conférons. (Romains 3, 27-31)

Les mitsvoth, les commandements, sans la foi, n’ont aucune valeur. La foi est une valeur supérieure même à la Thorah (Bible) et aux commandements (mitsvoth):

Il n’y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. La loi de l’Esprit… t’a affranchi de la Loi du péché et de la mort. De fait, chose impossible à la Loi, impuissante du fait de la chair, Dieu, en envoyant son propre fils avec une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, condamne le péché dans la chair, afin que le précepte de la Loi fût accompli en nous dont la conduite n’obéit pas à la chair mais à l’Esprit. (Romains 8, 1-9…)

Les frères ennemis sont divisés. Cette faiblesse intérieure au judaïsme constitue l’embryon de ce qui conduira plus tard à la séparation artificielle entre l’esprit et la chair, puis entre la synagogue « selon la chair » et l’église « selon l’Esprit ». Or, s’il n’est plus prescrit d’observer la Loi de Moïse (circoncision, cacherout,…) il reste la loi naturelle transmise par les Dix Paroles: ne pas tuer, ne pas voler, culte de Dieu…

Paul soutient la thèse de l’intériorisation de la Parole de l’Eternel au point de ne plus avoir besoin de loi extérieure rendue ainsi inutile.

L’opposition à Paul: Jacques le frère de Jésus et les mitsvoth

Ils présentent un point de vue totalement opposé, peut-être plus proche du judaïsme classique.

Face à cette interprétation élargie du verset (Genèse 15, 6) commenté par Paul, Jacques, le frère de Jésus, oppose sa propre interprétation: selon lui, les préceptes de la Loi de Moïse, les mitsvoth, fondent la foi d’Israël. « Les œuvres » servent à témoigner de la profondeur de la foi:

A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise: ‘J’ai la foi’, s’il n’a pas les œuvres? La foi peut-elle le sauver? … la foi: si elle n’a pas les œuvres, elle est tout-à-fait morte… Veux-tu savoir, homme insensé, que la foi sans les œuvres est stérile? Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres quand il offrit Isaac, son fils, sur l’autel? Tu le vois: sa foi coopérait à ses œuvres et par les œuvres, sa foi fut rendue parfaite. Ainsi fut accomplie cette parole de l’Ecriture: ‘Abraham crut à l’Eternel, et cela lui fut compté comme justice et il fut appelé ami de l’Eternel’. Vous le voyez: c’est par les œuvres que l’homme est justifié et non par la foi seule. De même, Rahab… n’est-ce pas par les œuvres qu’elle fut justifiée quand elle reçut les messagers et les fit partir par un autre chemin? Comme le corps sans l’âme est mort, de même la foi sans les œuvres est-elle morte. (Jacques 2, 14-26)

Et encore:

Mettez la Parole en pratique. Ne soyez pas seulement des auditeurs qui s’abusent eux-mêmes! … Celui… qui se penche sur la Loi parfaite de liberté et s’y tient attaché, non pas en auditeur oublieux mais pour la mettre activement en pratique, celui-là trouve son bonheur en la pratiquant. (Jacques, 1, 22-25)

Paul et Jacques: deux conceptions totalement opposées

Effectivement, accomplir les lois et les commandements donnés par Dieu dans Sa Bible, c’est

aimer l’Eternel de tout son cœur et de toute son âme (Deutéronome 13, 2-5)

Or, ces commandements ne suivent pas toujours la loi naturelle. Dans la loi naturelle, la notion de « jour de repos », de « shabbat » n’intervient pas. Pour l’Hébreu, accomplir les commandements, c’est ne pas les oublier, les graver même dans leur cœur.

Je donnerai Ma Loi dans leur for intérieur et Je l’inscrirai dans leur cœur (Jérémie 31, 33)

Cette Loi, c’est l’Esprit de l’Eternel:

Je donnerai mon Esprit en votre for intérieur (Ezéchiel 36, 27)

Cette réflexion de Jacques est tout-à-fait conforme à l’esprit biblique qui demande d’écouter la Parole de l’Eternel…

וְהָיָה אִם־שָׁמֹעַ תִּשְׁמְעוּ אֶל־מִצְו‍ֹתַי, אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוֶּה אֶתְכֶם, הַיּוֹם לְאַהֲבָה אֶת־ה’ אֱלֹהֵיכֶם,   וּלְעָבְדוֹ, בְּכָל־לְבַבְכֶם, וּבְכָל־נַפְשְׁכֶם… וְשַׂמְתֶּם אֶת־דְּבָרַי אֵלֶּה, עַל־לְבַבְכֶם וְעַל־נַפְשְׁכֶם (דברים י »א, י »ג)

Or, si vous écoutez mes préceptes que je vous ordonne en ce jour, d’aimer l’Éternel, votre Dieu, le servant de tout votre cœur et de toute votre âme…Imprimez donc mes paroles dans votre cœur et dans votre pensée… (Deutéronome 11, 13)

… pour la mettre en pratique:

וַיֹּאמְרוּ, כֹּל אֲשֶׁר־דִּבֶּר ה’ נַעֲשֶׂה וְנִשְׁמָע: (בְּרֵאשׁׅית כ »ד, ז’)

Le peuple s’est exclamé : Na’asse venichma, ‘nous ferons et nous écouterons’ (Genèse 24, 7)

Cette interprétation de Jacques correspond tout-à-fait à la vision biblique adoptée par l’ensemble du monde juif réside dans des préceptes divins dont l’accomplissement témoigne de l’amour porté à l’Eternel.

Jésus ne manque pas de rappeler l’importance du shema Israël

Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. (Matthieu 22, 37-38)

Sa mise en pratique par l’amour du prochain est tout aussi importante:

Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. (Matthieu 22, 39-40)

Ainsi, Jésus lui-même enseigne qu’aimer le Seigneur, ce n’est pas le prier sans cesse, ce n’est pas « avoir la foi » creuse et sans profondeur, c’est appliquer le deuxième commandement, qui est d’aimer son prochain, c’est-à-dire de mettre en pratique les mitsvoth, car c’est le seul moyen qui nous permettra de graver la Loi dans notre cœur, de « circoncire » notre cœur.

La Porte Dorée - Jérusalem  où se tient le premier concile - Photo par Dawn McDonald
La Porte Dorée – Jérusalem où se tient le premier concile – Photo par Dawn McDonald
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